« Wonderful world, beautiful people » de Jimmy Cliff devient peu à peu la phrase de Bob Marley « Many more will have to suffer, many more will have to die » en Jamaïque. La chaleur enveloppante du soleil omniprésent, les couchers de soleil à couper le souffle qui caressent la mer des Caraïbes et les scènes musicales vibrantes sont maintenant enveloppés par la violence armée croissante facilitée par la prolifération des armes légères, le trafic de drogue et d’autres activités criminelles. »
Ce sont les mots de Ansel Lee, activiste jamaïcain et organisateur communautaire, écrits dans une carte postale remise à plus de 300 délégués et fonctionnaires gouvernementaux lors de la troisième Conférence des États parties sur le TCA, tenue du 11 au 15 septembre 2017. Tragiquement, ils sonnent vrais encore un an plus tard.
Lors de la Troisième Conférence d’Examen du Programme d’action des Nations Unies sur les armes légères et de petit calibre (UNPoA) qui s’est tenue du 18 au 29 juin, j’ai eu l’occasion de parler avec Ansel et ses collègues du Kingston and St Andrew Action Forum (KSAAF). Réunissant des groupes locaux de militants communautaires sous le slogan «meilleures communautés, meilleure Jamaïque», la KSAAF lutte contre la violence armée dans certaines des zones les plus dangereuses de la Jamaïque par des interventions sociales, notamment des programmes de sensibilisation, d’éducation et de réintégration.
Je savais bien que la Jamaïque, malgré sa beauté, sa riche culture et son excellente musique, a sa part de défis. Mais cette réunion a mis en lumière un problème que je n’avais pas entièrement pris en compte – celui de la violence armée. Endémique en particulier pour les communautés avec peu de ressources et de mobilité économique comme West Kingston, la violence des gangs et la disponibilité des armes ont fait des victimes depuis des décennies.
Dans plusieurs de ces communautés, posséder un fusil signifie le pouvoir, le respect et la fierté de son propriétaire. Il y a peu ou pas d’alternatives pour acquérir le statut et la stabilité économique. C’est ainsi que les jeunes hommes, dont beaucoup sont proches en âge a moi, sont entraînés dans un cycle de violence des gangs, impliquant la drogue, les armes et les guerres de territoire. Le lien entre le commerce de la drogue et celui des armes est clairement visible dans les rues de West Kingston, plus récemment avec les armes venant d’Haïti en échange de la marijuana jamaïcaine.
Pour traiter ce problème, le gouvernement jamaïcain a mis en place des «zones d’opérations spéciales», un programme qui vise à contenir la criminalité tout en protégeant les droits humains des résidents et en promouvant le développement communautaire. Grâce à ce programme, les zones touchées par des niveaux élevés de violence armée sont protégées par les forces militaires pendant de courtes périodes. Néanmoins, les gangs, bien organisés et très compétent, sont souvent capables d’éviter astucieusement les autorités tout en utilisant «5 armes à feu pour commettre 100 meurtres ou plus».
Les chiffres sont inquiétant. Les statistiques de la police montrent que les armes à feu ont été utilisées en 90% des meurtres commis depuis le début de l’année 2018. Selon un document de travail présenté par la Mission permanente de la Jamaïque auprès de l’ONU avant la conférence UNPoA le mois dernier, 274 gangs actifs en Jamaïque sont impliqués dans jusqu’à 80% de tous les crimes majeurs. Beaucoup de ces gangs opèrent au niveau transnational, avec des réseaux soutenant «des opérations de contrebande à petite échelle avec des Jamaïcains envoyant des drogues aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni, et important des armes principalement des États-Unis et d’Haïti».
Des efforts soutenus sont déployés, souvent au détriment et de la sécurité des membres de la KSAAF, pour prévenir et réduire ces chiffres. La KSAAF, qui travaille régulièrement en collaboration avec le gouvernement, adopte une approche pratique dans la lutte contre la violence armée. Cela inclut la médiation entre les gangs et le dialogue direct avec les membres des gangs afin de désamorcer les risques de violence et de les désengager de leurs gangs. La KSAAF offre également un système de soutien aux anciens membres des gangs, y compris des formations/ateliers de soutien social, de sécurité et de compétences pour permettre à ces personnes de subvenir à leurs besoins par d’autres moyens.
Un autre problème frappant mentionné par les membres de la KSAAF est que les ONG bien établies arrivent souvent en Jamaïque avec des programmes préétablis et des solutions descendantes, ne tenant pas compte des besoins et des désirs des organisations et des communautés locales. Les programmes et les formations qu’ils offrent comportent souvent des compétences et des carrières peu attrayantes pour les jeunes, ce qui les incite peu à se désengager de leurs associations de gangs.
Le travail à la base, comme celui de la KSAAF, parallèlement aux politiques gouvernementales comme les zones d’opérations spéciales, peut offrir une solution à long terme aux problèmes de la violence armée en Jamaïque. Plus d’attention et de financement doivent être détournés vers les efforts d’organisations comme la KSAAF dans le monde. Entendre les histoires passionnées de leur travail honnête et dangereux était révélateur et émouvant, et m’a rappelé des situations similaires de violence cyclique dans d’autres parties du monde, y compris dans des endroits comme Chicago, États-Unis ou Colima, Mexique.